RÉSURRECTION
J. Perrier (La
Solidarité
Sociale). Revue « Le réveil »
C’était un vieil évangéliste qui
connaissait sa Bible par cœur, mais qui pourtant la relisait inlassablement,
comme si elle était toute nouvellement éditée. Il disait souvent: «Je la relis,
et toujours des commentaires nouveaux s’ajoutent à ma bibliothèque; mais pas
des commentaires comme vous en avez peut-être dans votre bibliothèque, reliés
sous cuir rouge. Dieu lui-même écrit le commentaire, en faits divers, dans la
vie. Tenez: je vais vous raconter un petit fait qui m’est revenu à la mémoire
en relisant avec vous l’histoire de la Samaritaine (Jean 4).
* * *
Un jour — (je puis dire un jour,
bien qu’il fût trois heures du matin) — je fus tiré de mon sommeil par des
coups furieusement frappés à ma porte. Je me hâtai de descendre et d’ouvrir. Un
homme était debout devant moi. Il me dit:
-
Monsieur, accepteriez-vous de venir prier au chevet d’une jeune fille
qui est en train de mourir ?
-
Mais, certainement, dis-je. Laissez-moi seulement le temps de
m’habiller.
-
Ecoutez, dit-il, je ne veux pas vous prendre au dépourvu. La maison où
je vous mène est une de ces maisons que...
-
Je vous écoute.
-
...Qu’on appelle généralement, reprit-il, maisons de honte. Cette jeune
fille semble avoir entendu parler de vous; peut-être vous a-t-elle déjà entendu
dans votre mission du port. Voilà les circonstances. Venez-vous quand même ?
-
Je vous suis.
Je trouvai cette jeune fille, en
effet, au bord de la mort. Elles étaient trois ou quatre dans la chambre,
bouleversées à la vue de leur camarade qui s’enfonçait lentement dans la
terreur et la paralysie de l’anéantissement. Il y avait une petite lampe sur la
table de nuit. Je me penchai sur le visage amaigri et blanc, où continuaient à
vivre deux yeux fiévreux et deux minces lèvres exsangues qui se pressaient pour
ne pas, sans doute, laisser échapper de plainte.
-
Je ne pense pas, dit-elle soudain, alors que je scrutais son visage
pour essayer de me souvenir, je ne pense pas que vous me connaissiez; mais moi,
je vous connais; je vous ai entendu, il y a un an. S’il vous plaît, redites-moi
ce que vous avez dit alors. Je vais mourir, bien qu’elles pensent que je me
trompe. S’il vous plaît, n’y a-t-il pas une histoire que vous avez racontée ce
jour-là?... Oui, ajouta-t-elle, alors que je la questionnais du regard, oui,
vous savez bien, celle qui s’est perdue, la brebis...
Ah! Me dis-je, c’est Dieu
lui-même qui me montre ainsi le chemin.
* * *
Je lus l’histoire de la brebis
perdue et celle du Bon Berger qui donne sa vie pour ses brebis, afin qu’elles
aient la vie, et qu’elles l’aient en abondance. Et je sentais quelle était ma
responsabilité en ce moment: cette pauvre fille m’écoutait avec avidité, et ses
compagnes, silencieuses, immobiles, faisaient autour de moi le plus étrange
auditoire qui se pût concevoir.
Je me mis à genoux pour prier.
Elles se mirent toutes à, sangloter. Ah! cette sensation qui s’empara soudain
de moi que le Seigneur était présent, et qu’il intercédait, lui aussi, pour
cette malheureuse qui allait mourir, pour ces autres qui vivaient pire que des
mortes !
Je me souviendrai toujours de
l’expression de joie intense qui, lorsque je me relevai, transfigurait les
traits de la pauvre moribonde. Ah! cria-t-elle, comme c’est merveilleux! Oui,
je sens que le Bon Berger m’a prise à Lui ! Ôh! n’est-ce pas merveilleux?
Telle était la transformation
subite qui venait de se manifester en elle, que je crus un instant que la santé
allait y trouver, elle aussi, son chemin de Damas, et je partis avec cette
espérance, promettant de revenir bientôt. Je revins en effet, mais elle n’était
plus. Ah! Dis-je, Il l’a prise à Lui, dans son bercail !
* * *
Quelques années plus tard, je
prêchais dans une ville du Nord. A l’issue du service, une jeune femme
s’approcha de moi.
-
Vous ne pouvez pas vous souvenir de moi, me dit-elle en souriant; mais
je veux vous dire que j’étais là lorsque vous êtes venu prier près du lit de
Marie.
-
Marie? fis-je étonné. Qui était Marie ?
Elle eut de la peine à m’expliquer
quelle maison
c’était, et qu’elle en était sortie.
-
J’ai voulu à plusieurs reprises vous écrire, reprit-elle, pour vous
dire comment elle était morte. J’étais là, seule, au moment où elle a rendu
l’âme. Je ne puis vous expliquer. C’était incompréhensible qu’elle fût si
joyeuse en entrant dans un tombeau !
-
Y entrait-elle vraiment ? dis-je. Et ne devons-nous pas croire plutôt
qu’elle entrait dans la vie? Je me souviens, maintenant: je lui avais parlé du
Bon Berger qui porte sa brebis perdue, la ramène...
-
Oui, et en mourant, elle disait: il me porte, il m’emporte! Puis elle
est morte. Je voulais vous écrire cela; je ne sais pourquoi je ne l’ai pas
fait. Je voulais vous dire aussi que le Bon Berger qui a emporté Marie m’a
prise, moi aussi.
-
Ah ! Dieu merci, m’écriai-je ! Ainsi, ce fut une double
résurrection: pour celle qui entrait dans le tombeau, et pour vous qui en
sortiez, et à qui la vie a mille revanches à offrir, sous sa direction à Lui,
Lui que nous appelons Bon Berger parce qu’il s’est Lui- même donné ce nom. »