lundi 4 juillet 2016

VRAIES ET FAUSSES PIETES

VRAIES ET FAUSSES PIETES

Robert Somerville  « carnet Croire et Servir avril 1971 »)
Le trait distinctif de la piété chrétienne, c’est la confiance, l’assurance que Dieu est vivant, qu’il se soucie de ses enfants, qu’il sait et veut ce qui est bon pour les siens. Le mot qui commande toute la piété chrétienne est celui que Jésus nous a enseigné à appliquer à Dieu : « Abba », Père. Le païen prie parce qu’il a peur. Il doit « amadouer » son Dieu, apaiser son courroux toujours à craindre, arracher sa faveur. Il prie, il pratique sa religion, par crainte de perdre la bienveillance de la divinité.
Le chrétien, au contraire, prie parce qu’il a confiance, parce qu’il reconnaît en Dieu le Père miséricordieux et bienveillant que Jésus-Christ lui a révélé, parce qu’il a, au nom de Jésus, la liberté de s’approcher de lui avec confiance (Éphésiens 3.12). Jésus résume fort bien cette différence dans le sermon sur la Montagne : « En priant, ne multipliez pas de vaines paroles comme les païens qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne leur ressemblez pas ; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez » (Matthieu 6.7-8). Par ces mots, Jésus nous met en garde contre un premier danger de la fausse piété.
La piété fleuve
Le païen croit qu’en « forçant la dose », il a plus de chances d’être entendu. Ce que Jésus lui reproche, c’est de prétendre faire pression sur Dieu par la longueur de ses prières. Un rabbin d’autrefois disait : « Quand les justes font de longues prières, leurs prières sont exaucées ». Or, nous dit Jésus : «Ce sont les païens qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés ». Dieu n’est pas sourd, il n’est pas endormi et la prière n’a pas pour but de le réveiller.
Ce texte condamne, bien entendu, les répétitions inlassables de formules toutes faites, qui finissent par transformer celui qui prie en « moulin à prière». Mais ce ne sont pas seulement des mots répétés mécaniquement qui sont de vaines paroles. Les chrétiens évangéliques, qui se méfient des prières toutes faites, ne sont pas à l’abri des longueurs inutiles. Ils peuvent eux aussi en rajouter, comme pour faire pression sur Dieu. La prière dite « d’abondance » peut traduire la liberté du croyant devant Dieu ; elle peut aussi n’être qu’une prière abondante, qui attend plus de sa longueur que de l’amour de Dieu.
Il est vrai que Jésus nous exhorte à la persévérance dans la prière (parabole des trois amis et de la veuve importune) (Luc 11.5-13; 18.1-8). Mais s’il faut persévérer, ce n’est pas parce que Dieu est « dur à la détente », mais au contraire parce que rien, pas même son silence apparent, ne doit nous faire douter de lui. Jésus ne nous dit pas que Dieu est semblable à l’ami endormi ou au juge inique. Il est différent au contraire et cette différence s’exprime dans l’expression « à combien plus forte raison » (Luc 11.13). Il faut persévérer dans la prière parce qu’il ne faut jamais désespérer de Dieu.
La piété calcul
Une autre erreur, dans la piété, consiste à croire que si on se conforme scrupuleusement à ses obligations religieuses, on en sera forcément récompensé. La piété a pour but d’obtenir les bonnes grâces de Dieu, pense-t-on. Dieu met des conditions à sa faveur : ces conditions sont exprimées dans ses commandements. Il faut donc bien connaître les choses à faire et à ne pas faire, éviter tout ce qui est défendu et observer à la lettre tout ce qui est prescrit. La religion est alors une sorte de marché avec Dieu.
C’est en somme ce que pensaient les pharisiens. C’est là ce qui explique leur souci du moindre détail de la religion : l’observation du sabbat, de la pureté rituelle, des dîmes (Matthieu 12.1-5 ; 15.1-2 ; 23.23-24). Ils sont obsédés par la peur de mal faire.
La triste conséquence, c’est qu’ils ne savent plus reconnaître l’essentiel (c’est-à-dire l’amour du prochain) de l’accessoire (les prescriptions rituelles). Pire, leur souci de la loi les pousse à juger ceux qui ne l’observent pas dans le détail, qui ne sont pas en règle. D’où leurs critiques contre les disciples de Jésus et surtout leur incompréhension de l’attitude de Jésus, qui se faisait l’ami des pécheurs (Marc 2.15-17 ; Luc 15.1-2 ; 7.36-50).
Là encore, nous devons nous demander si cette attitude nous est tout à fait étrangère. Sommes-nous libres de tout calcul dans notre piété ? Ne nous arrive-t-il jamais de penser qu’elle nous donne des droits sur Dieu ? N’attachons-nous jamais plus d’importance à des détails de la piété ou du comportement chrétien qu’à l’amour du prochain ? Ce sont des questions que nous pose la Bible.
La piété étalage
Un des reproches adressés par Jésus aux gens pieux de son temps, c’est de faire étalage de leur piété (Matthieu 6.1-5; 23.5, 14, 25-28.). Il les accuse d’hypocrisie, autrement dit de jouer la comédie de la piété, de faire du théâtre avec leur religion. Ils se soucient au moins autant de ce que pensent les hommes que de ce que Dieu attend d’eux.
Les chrétiens d’aujourd’hui sont sans doute peu tentés d’extérioriser leur piété au coin des rues. Cela ne leur rapporterait que moqueries. Mais au sein de la communauté chrétienne, le danger existe. Le désir de gagner l’approbation des frères ou la peur d’être mal jugé peuvent jouer un rôle dans notre piété. Nul de nous n’est à l’abri de la tentation de se glorifier de sa vie spirituelle.
L’étalage de la piété oblige à mettre l’accent sur les formes extérieures, ce qui se voit, ce qui s’entend. Cela conduit aussi à un certain conformisme religieux. Certaines formes de piété sont suspectes, d’autres au contraire, recherchées dans telle ou telle Église. On a tendance à imposer un style de vie, un langage, un comportement, qui n’est pas tant inspiré par la Bible que par des traditions historiques. Il est curieux de constater l’absence de toute obligation relative aux formes extérieures de la piété dans le Nouveau Testament. Ce qui importe, c’est d’adorer Dieu en esprit et en vérité (Jean 4.24).
Celui qui vit sa foi « en esprit et en vérité » ne sera pas tenté d’en faire étalage. Les choses spirituelles ne se mesurent pas à des signes extérieurs. Par conséquent, le croyant s’abstiendra déjuger la foi de ses frères d’après la manière dont ils expriment cette foi.
Au contraire, celui qui fait étalage de sa piété ne cessera de se comparer aux autres, de juger leurs manquements et de se glorifier de sa supériorité. La parabole du pharisien et du publicain illustre parfaitement cette attitude (Luc 18.9-14).
La piété alibi
La piété, quelle que soit la forme extérieure sous laquelle elle se manifeste, n’est pas une fin en elle-même. Elle est un moyen de rester en communion avec Dieu, un moyen de grâce, dit-on généralement. Elle permet au croyant de « marcher avec Dieu », en restant attentif à sa Parole, en demeurant en liaison avec lui.
Elle ne doit pas être un domaine réservé de la vie, coupé de la réalité quotidienne. Tout au contraire, elle doit colorier toute la vie. Rien n’est plus grave qu’une religion, même sincère, même fervente, si elle ne transforme pas la vie, si elle ne conduit pas les croyants à accomplir la volonté de Dieu. Déjà les prophètes de l’Ancien Testament ne cessent de dénoncer la tromperie de ceux qui offrent des prières et des sacrifices à Dieu et se moquent de sa volonté dès qu’ils sont sortis du Temple (Esaïe 1.10-15 ; 58.3-10 ; Jérémie 7.1-11 ; etc). Jésus leur fait écho, en particulier dans ses condamnations des pharisiens (Matthieu 9.13 ; 23. 3-4, 14 ; etc). Le souci des obligations religieuses peut même être un obstacle à l’amour du prochain (Mathieu 15.3-6; Marc 3.1-5). Sous prétexte de faire passer Dieu avant les hommes, on néglige ce qui compte avant tout aux yeux de Dieu (Jacques 1.27).

En réalité, c’est toute la vie, et non pas certains gestes, dits pieux, qui doit être communion avec Dieu. L’apôtre Paul nous le dit clairement : « Je vous exhorte, frères, par les compassions de Dieu (parce que Dieu vous a aimés le premier), à offrir vos corps (c’est-à-dire vous-mêmes, toute votre vie) en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable » (Romains 12.1).