ANNONCER, EST-CE PRECHER ?
(C. Blanc revue Esdras 2009/03 »)
La Bible n'en finit pas d'être traduite,
c'est une excellente chose. Une diffusion toujours plus large de ce livre ne
peut que réjouir le peuple chrétien. D'ailleurs celui-ci ne doit-il pas y
travailler de tout cœur? Des traductions dans de nouvelles langues ne peuvent
qu'être encouragées et les efforts renouvelés pour actualiser le texte de nos
versions françaises en vue d'une lecture plus facile, d'une meilleure
compréhension, ne peut qu'obtenir notre suffrage. Cependant, nous reconnaissons
que la tâche des traducteurs n'est pas facile : Comment actualiser, en effet,
sans atténuer la force des mots, tout en respectant ce que le commentateur
Lipscomb écrivait : « On ne saurait trop veiller à exprimer les vérités de
l'Ecriture dans le langage des auteurs inspirés » ?
C'est ainsi qu'on a pu lire dans des
versions récentes le verbe « annoncer » au lieu de «prêcher». C'est le cas
observé, entre autres exemples, dans Rom. 10/14-15 : « ...comment
entendront-ils s'il n'y a personne
pour le leur annoncer ? Et comment y aura-t-il des gens pour l'annoncer s'ils
ne sont pas envoyés ? ». Notez, ici,
dans cette version contemporaine que le mot « prédicateurs » a été remplacé par
l'expression « gens pour l'annoncer». D'autres versions toutes aussi
récentes ont préféré traduire ce verbe grec du Nouveau Testament par «
proclamer ».
Les
différences notées dans le vocabulaire des versions françaises sont-elles
importantes au point de devoir nous interroger? Commençons d'abord par examiner le choix
des mots fait par l'auteur sacré ? E. SAUER écrivait : « Pour exprimer une
idée sans erreur, il faut choisir très soigneusement les mots correspondants...
le mot peut être considéré comme le corps de la pensée, donnant à l'esprit sa
"visibilité" et sa forme... ». On a tout lieu de penser que Paul,
penseur comme il l'était, a employé les mots appropriés dont la signification
était claire pour les destinataires de sa lettre. Dans le texte cité plus haut,
et ailleurs, le verbe et le substantif qui en découle faisaient référence au
héraut de l'époque, ce messager chargé de transmettre les messages officiels et
solennels. Sans se livrer à une savante étude, on retiendra le commentaire de
l'exégète Ed. HIEBERT au sujet du terme employé
par Paul : « mot qui désigne celui qui fait une proclamation
publique sur l'ordre d'un autre». Le dictionnaire grec indique que la
racine de ce mot signifie «crier ». Le héraut est de nos jours un personnage
quasi inconnu, quoiqu'il existe un « porte-parole » du gouvernement, ou des
personnes chargées de la communication. Au Moyen âge, dans notre pays, le
héraut d'arme était un officier dont les fonctions étaient, entre autres, de
transmettre les messages et des proclamations solennelles. Les termes employés
par Paul ont bien le sens d'annoncer, mais annoncer d'une manière particulière
: publique, solennelle, sur l'ordre de quelqu'un. Ce qui s'accorde tout à fait
avec le sens du mot « évangile ».
Il
faut admettre que dans notre langue française, le mot «prêcher» s'est affublé
au fil du temps d'une connotation religieuse plutôt négative : on y associe une idée de morale, de
discours incompréhensible et ennuyeux. D'une manière générale on entend par «
prêcher » : prononcer un sermon, dans certain cas, faire la morale. En outre,
et dans un sens familier, on connaît l'expression « prêcher pour sa paroisse »
!
Mais
remplacer ce verbe « prêcher » par « annoncer » atténue forcément la
pensée initiale de 1’apôtre.
«Annoncer », c'est: faire savoir, communiquer, signaler, voire prédire en
parlant des prophètes (définitions du dictionnaire). Or l'Evangile n'est pas
une bonne nouvelle quelconque! le théologien YODER écrit dans son livre
(intitulé « Jésus et le politique ») : « le mot EVANGILE ne signifie pas
n'importe quelle bonne nouvelle, mais bien une information publique proclamée
par un messager, en vue de commémorer un événement particulier et qui donne
lieu à une fête lorsqu'elle est reçue ».
Dès
le début de l'histoire chrétienne, cette proclamation publique de la mort de
Christ sur la croix a toujours suscité des réactions : scandale chez les Juifs, folie chez les
païens (1 Cor. 1/23). Mais « puissance de Dieu pour le salut de quiconque
croit» affirmait l'apôtre. Ce n'est probablement pas sans raison que Paul a
écrit « nous, nous prêchons Christ crucifié » à des gens qui se
gargarisaient de leur sagesse. Le choix du vocabulaire de Paul laisse entendre
la haute opinion qu'il avait de sa fonction. Pour cette proclamation publique
et solennelle l'apôtre de Christ était prêt à tout endurer, tout supporter : souffrances, sacrifices, emprisonnements, voire
le martyr après avoir proclamé l'Evangile devant le tribunal
impérial de Néron.