(Archives
du christianisme 1834.08. 09)
Le recueillement est à
l’âme ce que le repos est au corps.
S'il ne se donne pas de repos, le corps
dépérit et succombe;
Si elle ne se donne pas de recueillement,
l'âme s’épuise et meurt.
De même, trop de repos appesantit le
corps,
Et trop de recueillement énerve l’Âme.
Pour avoir le corps et
l'âme en santé, il faut établir un juste équilibre entre le repos et le
travail, entre le recueillement et la pratique des bonnes œuvres.
Cependant il est rare de
trouver une âme qui se recueille à des intervalles fixes, tandis que tous les
hommes prennent le temps de reposer leur corps. Cela tient à plusieurs raisons.
L’être humain est ainsi fait qu’il sent les besoins du corps avec une extrême
facilité, et NE SENT LES BESOINS DE l’ÂME QUE TRÈS DIFFICILEMENT; il résulte de
là que l'on ne néglige aucun moyen de pourvoir aux uns, mais qu’on ne s’occupe
guère de pourvoir aux autres.
La faim, la soif, la
fatigue, l’épuisement du corps sont généralement écoutés et satisfaits; la
faim, la soif, la fatigue, l’épuisement de l'âme sont presque toujours méconnus
et négligés.
Nous découvrons ici une
nouvelle preuve de notre dégradation morale: la matière a une voix pour se
faire obéir, et l’esprit n’en a pas.
En outre, le corps se repose
sans peine et sans effort; il lui suffit de se laisser aller à son instinct;
comme une nacelle qui marche sans aviron ni voile avec le courant de l'eau, le
corps fatigué s’affaisse de son propre mouvement et s’endort.
Mais il faut à l'âme, pour
se recueillir, un laborieux et pénible effort sur elle-même; car elle doit
s’arracher aux objets extérieurs qui la pressent de toutes parts, et se
délivrer des mille inquiétudes qui l’agitent incessamment; c’est une barque qui
REMONTE le courant de l'eau, et qui ne peut y réussir qu’à l’aide des voiles et
de l’aviron.
Enfin le repos du corps, étant une absence
complète d'action, plaît à la matière, et lui procure un bonheur dont il
s’empresse de jouir;
mais le recueillement,
étant une action de l’homme sur soi-même, déplaît à l’esprit, et lui cause un état de malaise dont il aime
à s'affranchir.
On ne doit donc pas
s’étonner si le recueillement de l'âme est chose infiniment plus rare que le
repos du corps. La prépondérance de la matière sur l’esprit, résultat de notre
chute originelle, donne le mot de cette humiliante énigme.
Ne perdons pas de vue,
pourtant, notre première réflexion que:
le recueillement est
aussi nécessaire à l'âme que le repos au corps.
Les Chrétiens doivent s’en
souvenir, s’ils ne veulent s'exposer à voir disparaître et s’évanouir les
sérieuses impressions qu’ils ont reçues, comme la fumée disparaît et s'efface
dans les airs.
Pour conserver le sentiment
de son état de péché, pour vivre en communion avec Dieu par Christ, et goûter
la joie chrétienne, il est indispensable de se recueillir en soi à des époques
fixes et périodiques.
Comme un homme qui rentre dans sa maison,
après en avoir fermé la porte aux visites du dehors, et qui examine
soigneusement tout ce qui s’y trouve, afin de connaître ce qu'il a et de se
procurer ce qu'il n’a pas:
il faut que le Chrétien
rentre dans son propre cœur, après en avoir fermé la porte aux bruits ou aux
passions du dehors, et
qu’il observe attentivement tout ce qu’il renferme, afin d’apprendre à savoir
ce qui lui manque et de le demander au Seigneur.
En lisant le texte sacré,
nous voyons que les serviteurs de Dieu se retiraient souvent à l’écart pour se
recueillir, et qu’ils y employaient même, comme le roi David, les longues
veilles de la nuit.
Notre divin Maître, qui
s'éloignait de la multitude pour méditer en présence de son Père céleste sur
l’œuvre qu’il devait accomplir ici-bas, nous offre, sous ce rapport comme sous
tous les autres, un parfait modèle à imiter.
Il est d’autant plus
essentiel de recommander aux Chrétiens de nos jours le devoir du recueillement,
que le temps où nous sommes est une époque d’action et de pratique extérieures.
Les hommes du siècle de la réforme
vivaient beaucoup plus que nous dans leur intérieur; ils se nourrissaient de
leurs méditations, et quelquefois trop; car l'habitude du recueillement, portée
à l’extrême, en a conduit plusieurs au mysticisme.
Mais l’excès contraire n’est
pas moins dangereux; une activité qui s’attache constamment à autrui et jamais
à soi, épuise l’âme au lieu de la nourrir; et l’on doit prendre garde, en
cherchant à sauver les autres, de n’être pas soi-même rejeté.