lundi 14 mai 2018

LE RECUEILLEMENT



(Archives du christianisme 1834.08. 09)
Le recueillement est à l’âme ce que le repos est au corps.
S'il ne se donne pas de repos, le corps dépérit et succombe;
Si elle ne se donne pas de recueillement, l'âme s’épuise et meurt.
De même, trop de repos appesantit le corps,
Et trop de recueillement énerve l’Âme.
Pour avoir le corps et l'âme en santé, il faut établir un juste équilibre entre le repos et le travail, entre le recueillement et la pratique des bonnes œuvres.
Cependant il est rare de trouver une âme qui se recueille à des intervalles fixes, tandis que tous les hommes prennent le temps de reposer leur corps. Cela tient à plusieurs raisons. L’être humain est ainsi fait qu’il sent les besoins du corps avec une extrême facilité, et NE SENT LES BESOINS DE l’ÂME QUE TRÈS DIFFICILEMENT; il résulte de là que l'on ne néglige aucun moyen de pourvoir aux uns, mais qu’on ne s’occupe guère de pourvoir aux autres.
La faim, la soif, la fatigue, l’épuisement du corps sont généralement écoutés et satisfaits; la faim, la soif, la fatigue, l’épuisement de l'âme sont presque toujours méconnus et négligés.
Nous découvrons ici une nouvelle preuve de notre dégradation morale: la matière a une voix pour se faire obéir, et l’esprit n’en a pas.
En outre, le corps se repose sans peine et sans effort; il lui suffit de se laisser aller à son instinct; comme une nacelle qui marche sans aviron ni voile avec le courant de l'eau, le corps fatigué s’affaisse de son propre mouvement et s’endort.
Mais il faut à l'âme, pour se recueillir, un laborieux et pénible effort sur elle-même; car elle doit s’arracher aux objets extérieurs qui la pressent de toutes parts, et se délivrer des mille inquiétudes qui l’agitent incessamment; c’est une barque qui REMONTE le courant de l'eau, et qui ne peut y réussir qu’à l’aide des voiles et de l’aviron.
Enfin le repos du corps, étant une absence complète d'action, plaît à la matière, et lui procure un bonheur dont il s’empresse de jouir;  
mais le recueillement, étant une action de l’homme sur soi-même, déplaît à l’esprit, et lui cause un état de malaise dont il aime à s'affranchir.
On ne doit donc pas s’étonner si le recueillement de l'âme est chose infiniment plus rare que le repos du corps. La prépondérance de la matière sur l’esprit, résultat de notre chute originelle, donne le mot de cette humiliante énigme.
Ne perdons pas de vue, pourtant, notre première réflexion que:
le recueillement est aussi nécessaire à l'âme que le repos au corps.
Les Chrétiens doivent s’en souvenir, s’ils ne veulent s'exposer à voir disparaître et s’évanouir les sérieuses impressions qu’ils ont reçues, comme la fumée disparaît et s'efface dans les airs.
Pour conserver le sentiment de son état de péché, pour vivre en communion avec Dieu par Christ, et goûter la joie chrétienne, il est indispensable de se recueillir en soi à des époques fixes et périodiques.
Comme un homme qui rentre dans sa maison, après en avoir fermé la porte aux visites du dehors, et qui examine soigneusement tout ce qui s’y trouve, afin de connaître ce qu'il a et de se procurer ce qu'il n’a pas:
il faut que le Chrétien rentre dans son propre cœur, après en avoir fermé la porte aux bruits ou aux passions du dehors, et qu’il observe attentivement tout ce qu’il renferme, afin d’apprendre à savoir ce qui lui manque et de le demander au Seigneur.
En lisant le texte sacré, nous voyons que les serviteurs de Dieu se retiraient souvent à l’écart pour se recueillir, et qu’ils y employaient même, comme le roi David, les longues veilles de la nuit.
Notre divin Maître, qui s'éloignait de la multitude pour méditer en présence de son Père céleste sur l’œuvre qu’il devait accomplir ici-bas, nous offre, sous ce rapport comme sous tous les autres, un parfait modèle à imiter.
Il est d’autant plus essentiel de recommander aux Chrétiens de nos jours le devoir du recueillement, que le temps où nous sommes est une époque d’action et de pratique extérieures.
Les hommes du siècle de la réforme vivaient beaucoup plus que nous dans leur intérieur; ils se nourrissaient de leurs méditations, et quelquefois trop; car l'habitude du recueillement, portée à l’extrême, en a conduit plusieurs au mysticisme.
Mais l’excès contraire n’est pas moins dangereux; une activité qui s’attache constamment à autrui et jamais à soi, épuise l’âme au lieu de la nourrir; et l’on doit prendre garde, en cherchant à sauver les autres, de n’être pas soi-même rejeté.