lundi 28 septembre 2020

LE CHRÉTIEN ET SA CROIX

Th. MONOD.   (Le Protestant béarnais A27 - 1910-18)

 Je gémissais, dit un poète, me plaignant de la croix que Dieu m’avait donnée à porter, et tandis que je murmurais ainsi, je tombais dans un profond sommeil. Tout à coup, il se fit une grande lumière autour de moi, et je vis paraître à mes côtés le Seigneur Jésus-Christ.

 Il me dit d’une voix grave et tendre : « Tu es mécontent de la croix que je t'ai choisie ; voudrais-tu, si je t’en donnais la liberté, t'en choisir une toi-même ?»

 J’acceptai, joyeux et surpris. « Eh bien ! » dit-il, « viens avec moi ».

 Je le suivis avec empressement. Bientôt, je me trouvai en présence d'une multitude de croix de grandeurs diverses et d'aspects variés, jonchant le sol de toutes parts.

 «Choisis», me dit mon céleste guide, qui depuis quelque temps déjà m'avait délivré de la mienne ; « tu peux prendre celle qu’il te plaira. »

 Je n’eus pas de peine à me décider. Dès le premier instant, mes regards avaient été attirés par une croix dorée qui étincelait parmi toutes les autres ; celle-ci, pensai-je, est bien plus belle que la mienne, et je me hâtai de la saisir ; mais quelle fut ma surprise en la trouvant si lourde que je ne pouvais pas même la soulever! « Celle-là sera plus légère», m’écriai-je en tendant la main vers une croix qui, en effet, céda facilement à mon effort ; elle était d’un aspect gracieux, et semblait n'être composée que de rameaux entrelacés, chargés de fleurs épanouies ; mais à peine elle eut touché mon épaule que je poussai un cri et la laissai retomber: ses fleurs cachaient des épines aiguës qui me déchiraient la chair : « Hé quoi ! » dis-je au Seigneur, « faut-il donc de toute nécessité que j’en choisisse une ? » Il me répondit doucement : « Point de croix, point de couronne. »

 Je recommençai ma recherche, Je me chargeai d’une croix qui sembla d’abord me convenir ; mais bientôt je succombai sous un poids qui s’aggravait de moment en moment ; j’en pris d’autres encore pour les abandonner à leur tour. 

Enfin, j’en essayai une qui me paraissait d’un poids tolérable. D’humble apparence, elle n’avait rien qui attirât les regards ; mais, après l’avoir portée pendant quelque temps, je la trouvai si bien proportionnée à ma force, et surtout si bien adaptée à mon épaule, que je demandai au Seigneur si je pouvais conserver celle-là ; il me le permit, et nous nous remîmes en route. Je souriais sous mon fardeau, tout heureux du privilège qui m’avait été accordé. Comme nous approchions de ma demeure, mon guide s’arrêta, et, me montrant du doigt la croix que j’avais choisie : « Regarde-la bien », me dit-il, « ne la reconnais-tu pas?» — Je la considérai un instant... c’était la mienne !