Ruben Saillens (Lien fraternel 1914/6)
Par l'incarnation, nous entendons la venue
en chair de la seconde personne de la Trinité : la
Parole. (Jean 1/1)
Par l'inspiration, nous entendons un don spécial du Saint-Esprit
accordé aux prophètes et aux écrivains de l'Ancien et du Nouveau Testament, et
qui communique à leurs écrits le caractère de Parole de Dieu. C'est sur ces
deux faits, en quelque sorte connexes, puisque l'un et l'autre ont pour objet
la Parole, que repose la foi chrétienne.
Le
principal de ces deux faits est, évidemment, l'incarnation, puisqu'elle est la
manifestation absolue et définitive de la Parole.
Mais l'inspiration
est d'une importance infinie, puisque, sans elle, les hommes d'autrefois, n'auraient pu connaître et adorer par la foi Celui qui devait venir,
et que nous-mêmes ne pourrions
connaitre avec certitude
Celui qui est venu.
On peut aller à l'Incarnation
par la révélation écrite, c'est-à-dire, à Jésus- Christ par la Bible; on peut aussi aller à la Bible par
Jésus-Christ. Les deux méthodes sont légitimes. Jésus étant la Parole faite
chair, et la Bible étant la
Parole faite livre, ce sont deux facteurs de même nature, et l'on peut
intervertir leur ordre: le résultat sera toujours le
même.
La première méthode convenait spécialement aux Juifs. Peuple des Ecritures, ils croyaient en elles, pour ainsi dire dès leur naissance; ils pouvaient différer dans leur interprétation (Pharisiens, Sadducéens), mais pour eux, le texte faisait loi. On sait avec quel soin méticuleux ils ont conservé ce texte; de quelle superstition, même, beaucoup l'entouraient. Pour eux, les Ecritures étaient inspirées jusqu'à l'iota et au trait de lettre. Ils n'en comprenaient pas toujours l'esprit, mais ils ont été fidèles les à leur mandat : "c'est à eux, en effet, qu'étaient confiés les oracles de Dieu." (Rom 3/2).
Aussi voyons-nous le témoignage des apôtres et des
chrétiens primitifs, s'adressant aux Juifs, tout un tissu de citations
bibliques (Pierre dans ses divers discours ; Etienne mourant; Paul aux Juifs dans la
Synagogue). De même, .Jésus, et cela après sa résurrection, c'est-à-dire à un moment où, désormais, sa divinité
a revêtu les caractères définitifs de l'évidence, Jésus s'attache, sur le chemin
d'Emmaüs, à persuader ses interlocuteurs Juifs en recourant uniquement aux
témoignages scripturaires. « Commençant par Moïse et continuant par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes
les Ecritures, ce qui le concernait. » Luc 24/27).
La seconde méthode convenait mieux pour les Gentils. Ne
connaissant pas les Ecriture juive, ils ne pouvaient d'emblée en reconnaitre l'autorité. Aussi, est-ce à 1eur conscience
que Paul fait appel, dans les rares occasions où ses discours aux païens nous aient été conservés: (Actes
14/15-18; 17/22-31). Par la conscience il les amène à Christ; plus· tard, ces disciples
seront conduits du Christ aux Ecritures.
Mais cette distinction n'est pas absolue. L'appe1 à la conscience peut fort bien se combiner avec l'appel aux Ecritures. Il existe un accord profond
entre ces deux formes de la révélation divine; cet accord prouve leur origine commune. "L'Evangile,
a dit Vinet, est la conscience de la conscience."
Dans notre monde christianisé, nous nous trouvons en présence
d'âmes hybrides. Elles ont, comme les .Juifs d'autrefois, une certaine connaissance des Ecritures;
mais elles sont restées païennes dans leur manière de penser et de vivre. Chez les
catholiques, l'Eglise
et la tradition sont au-dessus de la
Bible; chez nombre de protestants, c'est la conscience individuelle, la
science, que sais-je?
Aussi, en nous adressant à nos populations, faut-il faire
appel aux consciences, en même temps que l'on cite le Livre saint.
Par une étrange aberration, on oppose aujourd'hui la
Parole faite chair à la Parole écrite.
Prétendant être fidèle à l'esprit du Christ; on rejette,
au moins en partie, la lettre de Ecritures. Pourtant, le bon sens indique
bien que l'un ne va pas sans l'autre. Les paroles des prophètes
annonçant le futur Messie ne peuvent être
que surnaturelles. Et ceux qui les ont rejetées, ont aussi rejeté
le Christ. Dieu a parlé par se serviteurs, ensuite
par son Fils: il y a progression dans le message, mais c'est toujours le message
divin. (Matt.21/33-42 ; Hébreux 1/1-2.)
Nous
voudrions montrer que ces deux mystères de notre foi: l'Incarnation et
l'inspiration, sont inséparables ; qu'en acceptant le premier, il faut, logiquement, accepter le
second, et qu'il faut les croire tous deux avec la même plénitude.
Qui
diminue la Bible, diminue le Christ. Qui touche à la Bible, touche au
Christ. Qui tient la Bible pour un livre
comme un autre, en arrivera nécessairement à tenir le Christ pour un homme
comme un autre.
Le
Christ surnaturel et le Livre surnaturel forment un tout.