Ida Mae Kampel (Realités de la Foi 1995.02)
Il irritait constamment son
institutrice. Il se tortillait sur son siège, bavait et poussait des
grognements. Parfois, il parlait clairement et distinctement comme si un
rayon de lumière avait pénétré les ténèbres de son cerveau.
Un jour, l'institutrice
demanda aux parents de Jérémie de venir la voir à l’école. Lorsqu'ils
s’assirent sans bruit dans la classe vide, l’institutrice leur dit:
— Jérémie devrait
absolument aller dans une école spécialisée. Ce n’est pas juste qu’il
soit avec des enfants plus jeunes que lui et qui n’ont aucun problème
pour étudier. Il y a quand même cinq ans de différence entre lui et
les autres élèves.
La maman de Jérémie pleura
doucement dans son mouchoir et son mari prit la parole:
— Mademoiselle, il n’y a
aucune école de ce genre dans les environs. Jérémie serait très choqué si
nous devions le retirer de cette école. Nous savons qu’il aime
vraiment cet endroit.
L’institutrice resta assise
un très long moment après le départ des parents de son élève, tout en
regardant fixement la neige au-dehors. Le froid semblait s’infiltrer dans son
âme. Elle désirait sincèrement sympathiser avec ces gens-là. Après tout,
leur enfant souffrait d'une maladie mortelle, mais ce n’était pas
juste de le garder dans sa classe. Elle devait enseigner dix-huit élèves plus jeunes
que lui et Jérémie était une source de distraction.
Pourquoi continuer à perdre son temps?
Comme elle réfléchissait à
la question, un sentiment de culpabilité l’envahit, «Oh! Seigneur, dit-elle
tout haut, je suis encore en train de me plaindre, alors que mes
problèmes ne sont rien, comparés à ceux de cette pauvre famille.
Aide-moi, s’il te plaît, à être plus patiente avec Jérémie!»
À partir de ce jour-là, elle
essaya vraiment d’ignorer les bruits de Jérémie et son regard sans expression.
Un jour, il s’approcha de son bureau en boitant, traînant sa mauvaise
jambe derrière lui.
— Je vous aime.
Mademoiselle! s’exclama-t-il assez fort pour que toute la classe
l’entende.
Les autres élèves rigolèrent
et le visage de l’institutrice devint tout rouge. Elle balbutia:
— M... Merci, c’est très
gentil, Jérémie, mais main... maintenant, retourne à ta place, s’il
te plaît!
Le printemps approchait et
les enfants étaient fous de joie à la pensée de la fête de Pâques
qui approchait. L’institutrice leur raconta l'histoire de Jésus et,
pour souligner l’idée de la «nouvelle vie», elle donna à chaque
enfant un gros œuf en plastique.
— Maintenant, leur dit-elle,
je veux que vous emportiez ceci à la maison et que vous le
rapportiez demain après avoir mis dedans quelque chose qui exprime
pour vous une nouvelle vie. Comprenez-vous?
— Oui, Mademoiselle!
répondirent les enfants débordants d’enthousiasme.
Tous, excepté Jérémie! Il
écoutait très attentivement, et ses yeux ne quittaient plus le visage
de l'institutrice. Il ne fit même pas ses bruits habituels.
Avait-il compris ce qu’elle avait dit sur la mort et la résurrection
de Jésus? Avait-il compris son devoir? Peut-être devrait-elle
téléphoner à ses parents et leur expliquer le projet!
Ce soir-là, l’évier de la
cuisine de l’institutrice se boucha. Elle téléphona à son propriétaire et
attendit une heure avant qu’il vienne. Après cela, elle avait encore des
courses à faire, une blouse à repasser, et un contrôle de vocabulaire
pour le lendemain. Elle oublia de téléphoner aux parents de Jérémie.
Le matin suivant, dix-neuf
enfants vinrent à l’école en riant et en parlant, et tous placèrent
leur œuf dans le large panier qui était sur le bureau de
l’institutrice. Après la leçon de mathématiques, le temps d’ouvrir
les œufs arriva.
Dans le premier œuf,
l’institutrice trouva une fleur.
— Oh oui! dit-elle, une
fleur, c’est certainement le signe d’une nouvelle vie. Lorsque les
plantes sortent de la terre, nous savons que le printemps est là.»
Une petite fille de la
première rangée leva la main et cria:
— C’est mon œuf,
Mademoiselle!
L’œuf suivant contenait un
papillon en plastique qui paraissait réel. L’institutrice le souleva
et dit.
— Nous savons tous
qu'une chenille change, grandit et devient un papillon magnifique.
Oui, cela est aussi une
nouvelle vie.
La petite Aurélie sourit
fièrement et dit:
— Mademoiselle Meunier,
cet œuf-là, c’est le mien!
L’institutrice trouva
ensuite un morceau de rocher recouvert de mousse. Elle expliqua
également que la mousse parlait de la vie. Benjamin cria du fond de
la classe avec son visage rayonnant:
— Mon papa m’a aidé!
L'institutrice ouvrit le
quatrième œuf, elle retint son souffle. L’œuf était vide. Elle se dit
que ce devait être l’œuf de Jérémie et qu’il n’avait sans doute
pas compris les instructions. Si seulement elle n’avait pas oublié de
téléphoner à ses parents! Afin de ne pas l’embarrasser, elle mit doucement
l’œuf de côté et avança sa main pour prendre un autre.
Soudain, Jérémie parla et
dit:
— Mademoiselle, vous ne
voulez pas parler de mon œuf?
Troublée, elle lui dit:
— Mais, Jérémie, ton œuf
est vide!
L’enfant la regarda alors
dans les yeux et lui dit doucement:
— Oui, mais la tombe de
Jésus était vide aussi!
Le temps sembla s’arrêter.
Lorsqu’elle put reparler, l’institutrice lui demanda:
— Sais-tu pourquoi la
tombe était vide?
— Oh oui! répondit-il, Jésus
a été tué et mis dedans. Et après son Père l’a ressuscité!
La cloche annonçant la
récréation sonna. Dès que les enfants furent sortis de la classe pour aller
dans la cour, l’institutrice se mit à pleurer. Le froid intérieur se
dissipait complètement.
Trois mois plus tard,
Jérémie mourut. Ceux qui se rendirent à la morgue furent surpris de voir
dix-neuf œufs au-dessus du cercueil. Tous étaient vides.
Mais l’ange dit aux femmes:
Pour vous, ne craignez rien; car je sais que vous cherchez Jésus qui
a été crucifié. Il n’est point ici; il est ressuscité, comme il l’avait
dit.
(Matthieu 28/5-6)