Le jour arrive où l’entreprise est achevée, malgré l’opposition; la muraille est bâtie et il ne reste plus de brèche. Impossible de le nier, les faits sont là; il ne s’agit plus de lancer des quolibets ou de donner libre cours à sa furie par l’attaque.
Le ton de Sanballat change alors tout à coup; il devient mielleux lorsqu’il propose innocemment à Néhémie de passer avec lui un relaxant week-end à la campagne, dans le paisible cadre d’un village de la vallée d’Ono. Néhémie n’est plus le minus du début; sous ses ordres, Jérusalem arepris son visage d’autrefois et son rang de ville fortifiée; il lui serait facile d’en imposer à son adversaire, mais il n’est pas dupe de ses mauvaises intentions... et il ne le fait pas! Par quatre fois, Néhémie adresse la même réponse à Sanballat:
«J’ai un grand ouvrage à exécuter, et je ne puis descendre; le travail serait interrompu pendant que je le quitterais pour aller vers vous» (6/3). En effet, il n’avait pas encore fini de poser les battants des portes de la ville (6/1).
Ah! si tous les serviteurs de Dieu pouvaient aujourd'hui imiter Néhémie, que de temps serait gagné, que d’argent épargné, que de travail accompli! Ah! ces rencontres dans les villages de la vallée d’Ono, au cours desquels on discute, on critique, on dresse même des plans pour mettre des entraves sur la route de ceux qui, étant trop occupés, ne veulent pas «descendre»!
Néhémie n’est en tout cas pas de cette trempe. Il a un but à atteindre et y emploie tous ses efforts.
Cependant, Sanballat a encore deux cartes à jouer, et non des moindres! Le «qu'en dira-t-on ?» et l'atteinte à la réputation.
Il forge de toutes pièces un argument fort bien conçu: «Le bruit se répand parmi les nations... que toi et les Juifs pensez à vous révolter, et que c’est dans ce but que tu rebâtis la muraille» (6/6). Face à face avec l'adversaire, il arrive que le chrétien remporte une retentissante victoire, mais le voilà tout à coup terrassé par l’arme subtile du «qu'en dira-t-on?». Combien sont ainsi arrêtés dans leur course!
Le mot d’ordre de Néhémie n’est pas: «Qu'en dira-t-on?» mais «Qu’en dira Dieu?» C’est pourquoi il attaque de front: «Ce que tu dis là n'est pas; c’est toi qui l’inventes!» lance-t-il à Sanballat (6/8). Pas un seul instant il ne prête l’oreille à de tels propos, car il sait discerner que le seul but de son adversaire n’est autre que de l’arrêter dans son zèle.
Enfin, la dernière carte... Elle est prometteuse, car c’est sur le plan spirituel qu’elle est jouée.
Pour le vaincre, c’est sur ce plan-là qu’il faut rencontrer Néhémie et emprunter son langage.
Schemaeja prophétise donc à Néhémie que ses ennemis viendront le tuer et que le seul refuge sûr est le temple. Une prophétie...! Ne serait-ce pas la voix de Dieu? Son serviteur ne pourrait-il pas, exceptionnellement, chercher abri dans son temple? Sanballat a oublié que Néhémie converse assez avec son Dieu pour en connaître la voix et discerner ici l’imitation... Comment Dieu lui ordonnerait-il de commettre un péché en entrant dans le temple où seul le sacrificateur et ses fils pouvaient y exercer leur fonction ?
«Je n'entrerai point!» s’écrie Néhémie. «Et je reconnus que ce n’était pas Dieu qui l’envoyait. Mais il prophétisa ainsi sur moi parce que Sanballat et Tobija lui avaient donné de l’argent» (6/12).
Bon calcul, mais faux calcul! L’homme qui n’a pas hésité à laisser la place auprès d’un roi pour se mettre au rang d’entre-preneur-maçon et à construire une muraille au prix de sacrifices de tous ordres (5/16-18), ne va pas se laisser leurrer par de faux accents d’un prophète soudoyé, entachant ainsi sa réputation d’un péché grave.
Ni le «qu’en dira-t-on ?», ni l'atteinte à sa réputation sur une fausse prophétie n’ont de prise sur cette âme noble, pas plus que ne l’avait eue l’alléchante invitation dans la paisible vallée d’Ono, les attaques ou les dédaigneuses railleries.
C’est le camp de Néhémie qui triomphe, grâce à sa foi persévérante, sa volonté et son courage. Et quel triomphe! Il se traduit aussitôt par un bouleversant réveil spirituel et une nouvelle consécration à Dieu de tous les enfants d’Israël, qui remettent à l'honneur le livre de la Parole de Dieu.
Il valait donc la peine d’ignorer l’ennemi et ses propositions, pour se consacrer uniquement à Dieu et à son œuvre !
Si l’on ne peut - hélas! - nier que Sanballat ait aujourd’hui de nombreux petits-fils, mon vœu sincère pour vous, ami lecteur, et pour moi-même, est que nous soyons comptés au nombre de ceux qui militent dans le camp de Néhémie.